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Revue « Centralités» Interview, 3 Juillet 2013

Claude TORRICINI, Sculpteur

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Ce que représente pour moi La Défense ?

Bien évidemment La Défense est l'illustration de la modernité, du nombre, du superlatif, du haut, du grand, du riche, du sérieux, du travail, du puissant, de l’efficace. Mais il n'est pas que cela, et pour qui sait prendre son temps il réserve des surprises, des coins, des repos, des ombrages. Il est heureux de trouver sur l'Esplanade, tout à coté de la grande perspective ouverte sur Paris, des lieux presque clos, presque secrets. ce contraste est aussi passionnant que motivant.

Pourquoi avoir accepté de travailler sur cet espace ? Quels étaient les enjeux ?

D'abord ; il y a là un « public » il suffit de se promener un jour de beau temps sur l'Esplanade « espace public » : pour le rencontrer.
Placer une œuvre en ce lieu offre l'opportunité de la faire voir.
Tout auteur souhaite trouver des lecteurs, tout comédien des spectateurs, tout sculpteur ou peintre des « amateurs ».
Voilà donc un bel enjeu : comment capter l'attention de l'inconnu promeneur ou employé et le faire entrer dans son monde.

Et il y a un défi. Lorsqu'il a été fait appel à moi, il y a plus de trente ans, le quartier de La Défense avait pour essentiel son visage actuel ; les tours le dominaient et des sculptures monumentales telles que le Stabile de CALDER et les grands personnages de MIRO étaient déjà en place.
On se sent alors David devant Goliath. Pour toute arme, on a, pas même une fronde, pas même un caillou, mais un petit objet de sa création, tout rond, sans pointe ni « défense ».

Et puis il y a une raison qui m'est très personnelle. Je partage ma vie avec, Michel MORITZ, architecte, qui avait alors mission d'aménager l'Esplanade de La Défense. A ce titre, sous l'autorité de l'EPAD - Etablissement Public d'Aménagement du Quartier de La Défense - sa mission le conduisait à faire appel non seulement à des ingénieurs, des jardiniers, des éclairagistes mais aussi à des artistes. C'est donc tout naturellement qu'une collaboration a pu s'établir entre nous, ce qui m'amène à répondre à vos questions :

Etait-ce un challenge différent des autres ? Est-ce que vous avez dû adapter votre méthode de travail ?

La différence essentielle avec d'autres créations personnelles résidait dans les particularités suivantes :
d'une part il s'agissait d'une commande passée pour un lieu déterminé - une sorte de clairière au milieu des platanes de l'Esplanade - avec un programme précis : réaliser une fontaine.
D'autre part cette commande offrait l'opportunité de travailler en équipe.

Loin d'être une contrainte cette donnée : pouvoir alterner le travail solitaire dans son atelier, irremplaçable, et un travail en commun avec le concepteur du lieu, était source d'épanouissement.

Le résultat de cette entreprise collective me conduit à parler de mon œuvre bien que la question ne me soit pas directement posée.

Une grenouille, fontaine à boire.

La grenouille fontaine à boire est une sculpture réalisée en bronze de 1,50 mètre de hauteur environ placée au milieu d'un banc circulaire en granit.
un jet d'eau potable sort (sortait) de la bouche d'une petite grenouille placée dans la bouche ouverte d'une grande grenouille.

Pourquoi une fontaine ?
Pourquoi une fontaine à boire ?
Pour une une grenouille ?

Pourquoi une fontaine ?
Ici, au milieu des immeubles de bureaux réalisés avec de riches matériaux, verre, acier, granits polis, il a paru intéressant de prolonger par une présence de nature celle amorcée par les plantations d'arbres et de fleurs en faisant surgir de l'eau.

Pourquoi une fontaine à boire ?
Dans le quartier d’affaires où tout fait l’objet de commerce il était heureux de pouvoir donner. Don bien modeste : de l’eau potable, mais don quand même.
Et puis face à une fontaine à boire le public devient acteur. Le décor est planté pour quelque scénette très simple : quelques enfants, ou quelque cadre déposant un moment son « attaché case », vient ici pour se désaltérer. Théâtre dont le banc circulaire en granit évoque les gradins.

Pourquoi une grenouille ?
Pourquoi un petit animal ? Souvenez-vous du tableau de Mantegna « La prière au jardin des oliviers » (Celui de la National-Gallery, à Londres ). Qu’y voit-on ?
Dans l’angle droit du tableau un chemin tortueux monte vers une ville splendide, Jérusalem céleste.
Sur le chemin quelques brins d’herbe et quelques petits lapins.
C’est là presque une métaphore de La Défense : à coté de l’Esplanade créée sur l’ « Axe Triomphal », sur la perspective ouverte sur Paris, « capitale », « ville lumière », il existe un lieu un peu écarté ou un petit animal, une grenouille, peut trouver sa place.

Et puis la relation entre l’eau et cet animal aquatique est évidente. De plus cet animal familier est sympathique.
De là à concevoir une grenouille qui « voulait devenir aussi grosse qu’un bœuf », il n’y avait qu’un pas. C’était en quelque sorte mon cheval de Troie. Une manière d’entrer par ruse dans la forteresse Défense, mais sans guerriers cachés dans son ventre.
Une grosse grenouille, cela fait un beau volume, bien plein, amusant à modeler et mettre en lumière.
Une grosse grenouille que l’on peut toucher, qu’il est même recommandé de toucher. - On n’est pas ici dans un musée - (Bien que l’on parle de « Musée en plein air ») Ses pattes servent de marchepieds pour les plus petits qui peuvent ainsi atteindre le jet d’eau et s’en désaltérer et les passants sont invités à s’accrocher aux deux yeux de l’animal pour se pencher sur la fontaine.
Il en est résulté une belle patine qui évoque celle du groin du sanglier du Marché à Florence ou celle de l’orteil de Saint Pierre à Rome.

(Hélas ! L’eau a cessé de couler, peut-être pour des raisons autant économiques que sanitaires, dénaturant le propos de l’œuvre originale.)

J’en arrive à vos dernières questions :

Que pensez-vous de ce Musée en plein air ouvert à la Défense ? Que représente pour vous l’art dans l’espace public ?

Je reviens sur ce que je disais plus haut : « on n’est pas ici dans un musée » : pas de billet pour entrer, pas de gardien à casquette, pas d’heure de fermeture.
L’art ici est en contrebande. Le voit, qui veut le voir. Il peut apparaître un jour par surprise à qui ne l’avait pas vu auparavant, il est dans la vie, il n’est pas dans un ghetto, il ne choisit pas son public.
C’est sans doute le plus beau compliment que l’on peut faire à l’art dans l’espace public.

Mais Michel MORITZ, mon mari architecte, qui a travaillé à la réalisation de ce « musée » pourrait mieux en parler que moi, je vous invite donc à prendre contact avec lui. Les noms unis de notre adresse mail ; moritztorricini@gmail.com. ne sont pas l’effet du hasard.

Claude TORRICINI. Le 3 juillet 2013

La « Colonne Oiseau » lors de l’inauguration du Centre commercial « les Quatre Temps » à la Défense.

La « Colonne Oiseau » lors de l’inauguration du Centre commercial « les Quatre Temps » à la Défense.